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Texte resituant la contribution de Bergman à la science du 18ème siècle

Torbern Olof Bergman, (9 mars 1735, Katrineberg, Västmanland, Gothland occidental, Suède - 8 juillet 1784, Bad Medevi, Suède) est le fils de Barthold Bergman et Sara Hügg et fût un scientifique suédois qui cultiva avec une égale ardeur toutes les branches des sciences (mathématiques, physique, astronomie, géologie, minéralogie, chimie et pharmacie). Il fit ses premières études dans la ville de Skara puis entra à l'université d'Uppsala à l'automne 1752. Sous l'influence de ses parents, il commença par étudier la théologie et la philosophie, mais il travailla aussi en secret les mathématiques, la physique et l'astronomie. Il fut un étudiant assidu de Carl von Linné (C. Linneaus, 1707-1778) le plus célèbre des naturalistes, à qui l'on doit la classification des végétaux, animaux et minéraux dans «Systema naturae» et où il décrivit des dizaines de milliers d'espèces et créa une nomenclature binomiale. Linné était en particulier convaincu que Bergman deviendrait un grand entomologiste. Mais entre 1754 et 1757 Bergman rédigea plusieurs mémoires de physique et d'astronomie et obtint son doctorat en 1758. En raison de ces travaux, il fut nommé professeur associé de mathématiques à l'université d'Uppsala en 1761 où il enseigna la physique et les mathématiques. En 1764 il fut élu à l'Académie des sciences de Stockholm où il prononca pour son discours d'inauguration une conférence sur « la possibilité d'éviter les dégâts dûs la foudre ». En 1766 la chaire de chimie et de pharmacie de l'université d'Uppsala fut déclarée vacante et Bergman candidata sur le poste en ne présentant qu'un seul mémoire de chimie. Il obtint néanmoins ce poste permanent et devint donc en 1767 professeur de chimie très probablement grâce à l'intervention du roi Gustave III. En quelques années, il s'imposa comme l'un des meilleurs chimistes d'Europe à tel point que le roi de Prusse Frédéric II lui proposa une chaire à l'Académie de Berlin. Bergman déclina cette offre et resta professeur à Uppsala jusqu'à sa mort à l'âge de 49 ans des suites d'une tuberculose. En France, Nicolas de Condorcet (1743-1794) et Félix Vicq d'Azyr (1748-1794) ont prononcé son éloge funèbre.

L'oeuvre scientifique de Bergman est immense et sans son choix malheureux de croire à la théorie du phlogistique ou « essence du feu » et d'avoir pris parti pour une vision téléologique du monde en chantant les louanges d'un créateur suprême, il aurait été reconnu comme le père de la chimie moderne au même titre que Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794). Ses premières contributions scientifiques concernaient les aurores boréales et l'importante découverte d'une atmosphère sur Vénus. Il a étudié les propriétés de la foudre et apporta son soutien à la théorie électrique des orages de Benjamin Franklin (1706-1790). En 1766 il participa à la publication d'une cosmographie étendue dans laquelle il présenta une description physique de la Terre.

En 1770, il invente un appareil permettant d'obtenir et de commercialiser de l'eau gazeuse à partir de craie et d'acide sulfurique afin d'améliorer la santé des gens malades. Il peut donc être considéré avec le chimiste Anglais Joseph Frederick Priestley (1733-1804) comme un pionnier dans le domaine des eaux minérales naturelles et synthétiques. Ses conclusions en ce domaine seront regroupées dans un ouvrage en Latin qui paraîtra en 1778 sous le titre « De Analysi Aquarium».

En 1772, il s'intéresse aux éléments de symétrie des cristaux poursuivant ainsi le travail de son illustre mentor Linné dans sa tentative de classer les minéraux en ne tenant compte que de leur forme cristalline. Bergman essaie de faire dériver, non seulement les formes secondaires de la calcite mais encore les formes d'autres minéraux du rhomboèdre et propose la première théorie réticulaire des réseaux. Ses travaux auront une profonde influence sur les pères fondateurs de la cristallographie : Jean-Baptiste Romé de l'Isle (1736-1790), Arnaud de Courangeot (1742-1806) et René-Just Haüy (1743-1822).

En 1774, il s'intéresse à la métallurgie et il sera le premier à différencier le fer, l'acier et la fonte via l'analyse quantitative du carbone contenu dans ces matériaux. Son traité sera traduit en français en 1783 par Pierre Clément de Grignon (1723-1784) sous le titre «Analyse du fer».

En 1775, il se propose, dans son « Traité des affinités chymiques » de faire apparaître les affinités respectives des corps en proposant une version actualisée de la table des rapports introduite en 1719 par le sieur Claude Joseph Geoffroy (1685-1752). Il utilisera à cette occasion les symboles alchimiques modifiés pour représenter à l'aide de parenthèses, les transformations chimiques qu'il utilise pour mesurer les affinités. C'est à Bergman que l'on doit d'avoir introduit la notion de « réactif » et de « réaction chimique ». On peut voir dans ces diagrammes le début de la notation chimique moderne qui fut reprise plus tard et développée par Antoine Laurent de Lavoisier, Louis Bernard Guyton de Morveau (1737-1816), Antoine François de Fourcroy (1755-1809) et Claude Louis Berthollet (1748-1822). Dans cet ouvrage, Bergman propose une nomenclature binomiale pour les sels et identifie aussi sans ambiguïté de nouvelles substances purement organiques comme l'air fixe (acide carbonique), l'acide saccharin (acide oxalique), le gaz hépatique (hydrogène sulfuré) ainsi que l'acide tartrique et l'acide benzoïque découverts par son élève et ami Carl Wilhelm Scheele (1742-1786). Sa formation en mathématiques le conduit aussi à définir l'affinité d'un corps pour un autre en introduisant une terminologie nouvelle, à base de notation algébrique :

Lorsque ces corps sont libres tous les deux, il y a affinité simple: A + B → AB

L'affinité élective est celle qui se manifeste quand un corps simple détruit un corps composé pour s'emparer d'un de ses éléments: AB + C → AC + B

Enfin, l'affinité complexe est celle de deux corps qui sont engagés l'un et l'autre dans deux composés différents : AB + CD → AC + BD

Il montre ainsi que c'est l'affinité élective qui seule permet de mesurer l'affinité simple. Cet ouvrage aura une influence considérable sur Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) qui en tirera en 1809 un roman intitulé « Les affinités électives ». Il a fallu attendre 1788 pour que cet important traité soit traduit en Français et publié à Paris par Guyton-Morveau. Il est en fait fort probable que la traduction soit l'oeuvre de sa femme, Mme Picardet, qui avait déjà traduit de manière partielle en 1780 un autre ouvrage de Bergman intitulé « Opuscula physica et chimica ». Les traductions Françaises des œuvres de Bergman par le couple Guyton-Morveau sont remarquables par l'ajout d'avant-propos et d'un grand nombre de notes à caractère technique qui corrigent ou éclaircissent certains propos du grand maître Suédois. Si les notes de la traduction de « Opuscula physica et chimica ». furent toutes approuvées par Bergman, il n'en fut pas du tout de même de celles du « Traité des affinités chymiques » qui paru en France quatre années après la mort de Bergman. Ces notes qui doublent le nombre de pages de la version Française par rapport à l'original publié en Latin sont d'un intérêt historique considérable puisque le duo Guyton-Morveau affranchi de la relecture de Bergman peut pour la première fois opposer les explications alambiquées des partisans du phlogistique à la simplicité de la toute nouvelle théorie de la combustion de Lavoisier.

La décade 1770-1780 est en effet critique car c'est durant cette période que furent réalisées les expériences cruciales en Suède, en France et en Angleterre permettant de mettre à bas de manière définitive la théorie des quatre éléments d'Aristote vieille de 2000 ans. Même si l'Histoire a finalement retenu le nom de Lavoisier pour consacrer cet exploit, il est clair à la lecture du « Traité des affinités chymiques » et des notes ajoutées par le couple Guyton-Morveau que le redoutable couple Suédois Bergman-Scheele avait déjà porté un coup fatal au modèle d'Aristote.

Par sa connaissance de la minéralogie et son recours systématique à la balance (bien avant Lavoisier) Bergman identifia au minimum cinq types de « terres » différentes : baryte (terre pesante), chaux, magnésie, alumine (argille pure) et silice. Par la technique du chalumeau à bouche consistant à souffler à travers un tuyau placé au-dessus d'une chandelle sur une petite surface charbonneuse, il était capable de générer une chaleur suffisante pour réduire à l'état métallique beaucoup d'oxydes. C'est ainsi qu'il identifia le nickel, le manganèse et le tungstène. En association avec Scheele, il trouva dès 1770 que l'air n'était pas non plus un élément puisqu'il était composé d'un mélange d'air vicié (azote), d'air vital (oxygène) et d'air méphitique (dioxyde de carbone). Il revint à Scheele d'écrire un « Traité chimique de l'air et du feu » qui était aux gaz ce que le « Traité des affinités chymiques » était aux matières solides. Ce traité fut achevé l'année même de la parution du livre de Bergman (1775) mais Scheele dans sa grande admiration pour son prestigieux ami attendit 2 ans que ce dernier rédige une préface et le traité ne parut finalement qu'en 1777. Durant ce laps de temps le chimiste Anglais Priestley avec son « air déphlogistiqué » découvert en août 1774 et surtout le Français Lavoisier avec son « air éminemment respirable » découvert en avril 1775 n'avaient pas chômé et étaient déjà engagés dans une controverse historique qui allait atteindre son paroxysme dans la découverte par Henry Cavendish (1731-1810) en 1783 que l'eau, tout comme la terre ou l'air, ne pouvait pas être considéré comme un élément. Rappelons ici la réaction de Guyton de Morveau s'exclamant en 1789 « L'eau est un composé! il est difficile de se défendre d'une impression de surprise la première fois qu'on entend une proposition aussi contraire à la tradition de tous les siècles, … ». Lavoisier ayant été le seul à analyser correctement la réaction de formation de l'eau à partir « d'air inflammable » et « d'air déphlogistiqué » et surtout le seul à voir que le phlogistique était un élément purement imaginaire, ce fut lui dont le nom fut retenu pour la postérité au grand dam non seulement des Anglais Cavendish et Priestley mais aussi des Suédois Scheele et Bergman. On comprend ainsi l'intérêt tout particulier que revêt le traité de Bergman dans ce contexte historique ayant abouti à l'effondrement de la doctrine d'Aristote.

Mais l'origine du prestige de Bergman à son époque tient aussi à son idée d'appliquer au règne minéral les idées de son mentor Carl von Linné. Ainsi ver la fin de sa vie, il réforma ainsi la minéralogie en la fondant sur la composition chimique des corps, et observa le premier le rapport constant des formes géométriques des cristaux avec la nature de chaque substance. Il recommanda l'usage du chalumeau, dont il avait lui-même usé pour ses découvertes. C'est ainsi qu'il publia en 1782 toujours en Latin une autre œuvre scientifique monumentale intitulée « Sciagraphia regni mineralis », véritable réforme de la nomenclature minéralogique. Dans la traduction Française de 1784 de cet ouvrage intitulé « Manuel du minéralogiste ou sciagraphie du règne minéral, distribué d'après l'analyse chimique», le minéralogiste Jean André Mongez (1750-1788) a tout comme le couple Guyton-Morveau ajouté de longues notes éclairant la pensée du maître pour chaque substance. Une seconde édition Française de ce livre en 1792, de nouveau considérablement augmentée par le naturaliste Jean-Claude Delamétherie (1743-1817), fut une véritable bible pour toute une génération de minéralogistes Français et contribua à faire accepter la composition chimique comme le critère fondamental de classification des minéraux.

Dans ce livre, Bergman adapte la classification linnéenne en distribuant les minéraux en classes, genres, espèces et variétés. Tout comme Linné l'a fait pour les plantes et les animaux, Bergman définit chaque classe et chaque genre par un mot et chaque espèce par deux mots. C'est à lui que l'on doit l'introduction de quatre grandes classes minérales : sels (acides, basiques ou neutres), terres, métaux et matériaux phlogistiqués.

Pour toutes ces contributions remarquables, le chimiste suédois Bergman peut être considéré comme le fondateur de la chimie inorganique analytique. Ainsi, voici ce que déclarait Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) à propos des recherches expérimentales sur la végétation menées par Bergman (Journal des Savants, Paris 1858): « Si personne ne sait mieux que nous ce que cette analyse laissait à désirer, cependant, sans hésitation, nous la citons comme un des premiers exemples sérieux d'analyse immédiate organique faite avec le concours de la balance. » Bergman, tout comme son ami, Scheele était avant tout un expérimentateur de génie, puisqu'à eux deux il réussirent à isoler et identifier les acides organique suivants : tartrique (1770), benzoïque (1775), urique (1776), oxalique (1777), lactique et sarcolactique (1780), citrique (1784), malique (1785) et gallique (1786). Il est évident que sur le plan purement expérimental, Bergman surpasse de très loin son contemporain Lavoisier comme en témoigne l'anecdote suivante concernant la découverte de l'acide oxalique. En juillet 1777, apprenant que Bergman avait obtenu par distillation, en faisant réagir de l'acide nitrique sur du sucre, de l'acide saccharin [oxalique] Lavoisier n'avait pas réussi à reproduire l'expérience. Au lieu d'acide oxalique, il avait obtenu de l'acide nitrique, de l'eau et un résidu charbonneux. En février 1779, il avait recommencé l'essai en chauffant plus doucement le sucre et réussi la synthèse de l'acide oxalique. Cela montre à quel point il est injuste que l'Histoire n'ait retenu que le nom de Lavoisier pour la paternité de la chimie moderne. La raison de cet état de fait tient sûrement à l'incapacité de Bergman de voir les insuffisances de la théorie du phlogistique comme le révèle cette citation très révélatrice de ce chimiste hors pair: « Les chimistes sont loin de s'accorder sur les principes généraux de leur science. Les polémiques concernant la théorie sont souvent très vives et ils perdent à se disputer un temps qu'ils pourraient plus utilement occuper en travaillant… ». On ne saurait être plus clair sur le fait que passer de nombreuses heures à la paillasse est le moyen le plus sûr pour ne pas devenir célèbre. Bergman avait visiblement fait ce choix en toute lucidité, et il ne serait que justice que son nom soit hissé aujourd'hui à la hauteur de celui de Lavoisier. Il est donc particulièrement heureux que l'Université Louis Pasteur via son très performant service commun de documentation (SCD) contribue à la reconnaissance de ce véritable « monstre » de la science analytique en mettant en ligne pour que tout le monde puisse les lire les oeuvres scientifiques majeures de Torbern Olof Bergman.

Notice rédigée par Marc Henry
Professeur à la Faculté de chimie, Université Louis Pasteur - Strasbourg
Contact : [email protected]

collections/valorisation/auteurs/bergman_torbern_info.txt · Dernière modification: 2015/07/07 01:11 par Guy Brand